Débuter en EPS : "comment faire pour les regrouper ?"
Depuis le début de son cycle de gymnastique, Caroline s'énerve lorsqu'elle souhaite regrouper les élèves afin qu'ils étirent leurs muscles assis chacun sur un tapis de gymnastique : « Là, je suis énervée et je me dis qu'ils ne sont pas autonomes, à chaque fois ils se dispersent dans la salle ».
Décrivant le caractère récurrent de cette situation et l'énervement qui lui est lié, elle estime les élèves incapables de se répartir seuls tout en restant suffisamment groupés pour écouter ses consignes. Elle valide une nouvelle fois la connaissance : Les élèves de cette classe ne sont pas capables de se répartir de façon ordonnée et regroupée avec leur tapis.
Au cours de l'Entretien de formation, Caroline affirme ne pas trouver de solution : " Je ne vois pas comment faire pour les regrouper ". Le formateur lui suggère : " Pourquoi ne pas utiliser les lignes au sol comme repères ? ". Elle réfléchit alors à haute voix en pointant du doigt les lignes du gymnase sur l'écran de télévision : " ...Oui, quatre tapis entre ces deux lignes, quatre autres tapis ici... ". Lors de l'entretien d'autoconfrontation, elle commente sa réaction faisant suite à la proposition du formateur : " Quand il me dit : "Pourquoi ne pas utiliser les lignes au sol ? ”, je me demande pourquoi je n'y ai pas pensé avant. Je me dis : "Mais bien sûr ! C'est évident, c'est un repère concret pour eux, moi je leur disais de ne pas laisser d'espaces libres, mais c'est pas concret. Si je leur dis dans tel carré [défini par les lignes du gymnase], là c'est concret...” ". Convaincue par la proposition du formateur, elle est surprise et même vexée de ne pas y avoir pensé seule. Elle énonce les raisons de l'inefficacité de sa procédure et invalide la connaissance mobilisée lors de la Leçon 1 : La sollicitation verbale suffit à regrouper les élèves et construit une nouvelle connaissance avec l'aide du formateur: L'utilisation de repères concrets au sol est un moyen de regrouper les élèves.
En sortant de l'Entretien de formation, le professeur stagiaire précise le déroulement de son activité future : " Je me suis dit : “Il faudra que j'indique les limites avant de les envoyer chercher les tapis” ". Au cours de la Leçon 2, le professeur stagiaire demande aux élèves d'aller chercher le matériel nécessaire à leurs étirements. Elle s'aperçoit à leur arrivée qu'elle ne leur a pas donné d'indications particulières concernant leur répartition dans l'espace : " Et là, je les vois arriver et je me suis dis : “Mince !” J'avais prévu de leur donner les limites avant de les envoyer chercher les tapis et là... Pouf ! J'ai oublié... Dans l'action, j'ai complètement oublié... ". À cet instant, elle demande aux élèves les plus proches d'elle de se positionner entre deux lignes au sol et essaie d'indiquer ces mêmes repères aux autres élèves dispersés dans le gymnase : " J'indique les limites mais les élèves sont déjà dispersés, ils ne m'entendent pas et ce n'est pas de leur faute ".
L'activité du professeur stagiaire se caractérise par une discontinuité entre
l'interaction avec le formateur et l'intervention professionnelle. Nous pouvons
interpréter cet oubli comme lié, non pas à une remise en cause de la validité
de l'énoncé du formateur, mais à ses préoccupations au moment d'envoyer les
élèves chercher leurs tapis. En effet, dès que les élèves se dirigent vers le
matériel, elle s'adresse à un élève (Gino) en lui demandant de venir se placer
dès qu'il a pris son tapis. La connaissance mobilisée dans cette situation est
la suivante : Gino profite à chaque leçon de l'installation des tapis pour
chahuter et perturber le déroulement du cours. À cet instant sa préoccupation
principale concerne la surveillance d'un élève leader, qui profite à chaque
leçon de l'installation des tapis pour chahuter. Cette focalisation, en plus de
sa préoccupation d'anticiper l'exercice suivant, l'absorbe complètement sans
possibilité pour elle de s'en distancer. Ces deux préoccupations relatives au
contrôle d'un élève et à l'anticipation de la suite de la leçon confinent en quelque
sorte le professeur stagiaire à l'immédiateté de la situation présente. L'arrivée
des élèves munis de leurs tapis est un élément saillant pour elle, associant le
caractère désordonné de la répartition des élèves et le sentiment d'être débordée.
À cet instant, elle s'aperçoit qu'elle n'a pas énoncé les limites de
répartition dans l'espace et les indique aux premiers élèves qui arrivent avec
leurs tapis. Elle découvre dans cette situation que les autres élèves,
dispersés, n'entendent pas ses indications.
Synthèse
Les deux séquences inhérentes à cette Modalité de développement de l'activité des professeurs stagiaires se caractérisent par le fait que l'activité envisagée en formation et lors de la préparation de la leçon suivante est empêchée (Clot, 1999) en fonction des opportunités propres aux situations de classe. La difficulté des professeurs stagiaires est de s'affranchir de l'instant présent pour pouvoir intervenir sur les événements en classe en mobilisant des éléments de réflexion construits préalablement. À ce titre il y a développement dans la mesure où l'activité envisagée en formation se prolonge en classe mais de façon tardive vis-à-vis des événements qu'il s'agissait d'éviter. L'activité envisagée est estimée valide même si elle n'a pas été concrètement réalisée en classe.
texte extrait de
Serres,
G., Ria, L., Adé, D. (2004). Modalités de développement de l'activité
professionnelle au gré des contextes de classe et de formation. Revue Française
de Pédagogie, 149, 49-64.