[Maxime] : l'obtention de l'ordre en classe sous l'impulsion d'exigences scolaires fortement structurées
Les deux premiers cas illustrent deux tendances typiques chez les enseignants débutants face à des classes difficiles : la première conduisant à la suite d'une série de conflits à un investissement distancié voire résigné, la seconde parvenant au maintien des exigences scolaires mais au prix d'une relation sous tension. Les deux génèrent de la fatigue, de la frustration, et conduisent sans nul doute à des impasses à court ou moyen terme. L'activité de Maxime offre une voie alternative entre exigence et bienveillance, entre ordre en classe et enjeu scolaire.
L'implication de Maxime avec cette classe de troisième débute dès sa prise en main dans la cour par des échanges courtois avec les élèves sur des sujets extrascolaires : « On a une bonne relation entre nous, j'essaye de détendre tout le monde après la récré... La plupart sont super-excités après la récréation... J'essaye par une discussion sympa d'arriver en haut des marches dans une atmosphère détendue... Et c'est un moment où je m'attache à leur montrer qu'ils m'intéressent en tant que personnes... Plus qu'en tant qu'élèves lambda ». Et dès le franchissement de la porte de sa classe, l'enseignant posté dans l'encadrement, signifie le changement de territoire en rappelant à l'ordre, les yeux dans les yeux, de manière préventive l'indiscipline de certains élèves lors des cours précédents : « Samy, tu m'as cassé la tête hier, tu ne vas pas me la casser aujourd'hui ! ».
L'élève, les yeux baissés, promet de rester calme. En multipliant les déplacements autour des élèves encore agités et les remarques individuelles parfois de manière mesurée, parfois de manière théâtralisée, il parvient en quelques minutes à canaliser l'agitation collective et à percevoir le point de basculement favorable à l'amorce des premières questions sur le travail scolaire en cours : « C'est un moment très pénible parce que répétitif et symptomatique de tout ce qui ne fonctionne pas dans cette classe : paroles intempestives, remarques individuelles sans portée sur le collectif... Tu fais une remarque à un élève, son voisin ne l'entend pas pour lui... Là, il faut que je capte ce début de silence pour prendre la main... Il faut qu'avec une question de maths, toutes les conversations tournent enfin autour des maths... ».
Entrée dans la tâche
Sans prendre le temps de faire l'appel (1), Maxime propose une série d'exercices sur les identités remarquables à réaliser individuellement : « Ce qui m'intéresse là, c'est de rappeler rapidement les deux identités que l'on a vues hier, revenir sur la possibilité de les retrouver si on les a oubliées le jour d'un contrôle, faire pareil avec la troisième identité et passer rapidement à des exercices car le travail personnel n'est pas fait à la maison avec cette classe... A part quatre élèves au plus... Donc, je ne peux pas m'appuyer sur un travail personnel fait à l'extérieur. Je fais donc en sorte qu'en classe il y ait une part importante de travail personnel... ». Maxime circule dans les rangs pour aider les élèves dans leur travail. Il continue à faire des remarques sur les attitudes relâchées, sur le matériel scolaire non rangé mais se focalise prioritairement sur la réalisation des exercices de mathématiques. Lors de cette séquence de travail individuel, l'enseignant s'estime plus tolérant : « Je ne réclame pas le silence absolu, j'aime entendre un léger bruit de fond et les laisser échanger un peu pour ensuite être plus exigeant quand il faut se concentrer sur un raisonnement ».
L'enseignant s'arrête plusieurs minutes à l'arrière de la classe auprès d'un élève. En prenant son stylo, il écrit directement dans son cahier la démarche à suivre : « Tu développes comme ça, ton 3x +5... ». Si Maxime s'intéresse aux élèves en tant que personnes dans les couloirs, il s'attache en classe à les connaître individuellement et à croire en leurs capacités d'apprentissage. En une fraction de seconde, il frappe du poing la table et dit de manière très ferme : « Moussa, Samy !! Vous pouvez baisser d'un ton ? » [Samy déjà interpellé lors de l'accueil en classe]. Et de nouveau à voix basse avec l'élève du fond de la classe : « Et après tu fais comme ça... C'est bon ? Allez essaye... ». Ce dernier, de nouveau seul, poursuit sur les conseils de l'enseignant le développement de l'identité remarquable, alors que la veille il était à l'origine de plusieurs affrontements avec l'enseignante de français.
Ce premier extrait du travail de Maxime montre sa capacité :
a) à anticiper, prévenir les comportements déviants avant même le début du cours et à rappeler sans cesse aux perturbateurs leurs engagements,
b) à intégrer dans une même action l'accompagnement individuel d'un élève de manière bienveillante et la surveillance à distance de façon très ferme d'un groupe d'élèves trop bruyants,
c) à avoir des seuils de tolérance au bruit dans la classe ajustés à la nature du travail en cours et d) à faire passer au premier plan les interventions sur sa discipline d'enseignement [ici les identités remarquables] tout en prolongeant sans relâche, en arrière plan, les rappels à l'ordre individuels ou collectifs.
La phase de bilan
Le deuxième extrait correspond au bilan collectif prévu par l'enseignant à la suite de la séquence d'exercices réalisés individuellement. Maxime, sentant les élèves se dissiper, attend plusieurs secondes, la craie à la main, le corps penché vers l'avant. Il lance à la cantonade plusieurs « chut ! » : « On pose les stylos, on regarde au tableau... ». Maxime s'adresse à plusieurs reprises aux élèves effectuant encore les exercices : « Pose ton stylo, on t'attend ! »... « Pose ton stylo, on t'attend ! ». La pose de tous les stylos marque la transition entre le travail individuel et le bilan collectif pour recréer une configuration collective favorable à la compréhension d'une méthode de développement d'une identité remarquable. Le « on t'attend ! » signifie l'entreprise collective et pèse bien davantage sur les retardataires que le « je t'attends ! ». Maxime insiste sur les conséquences de toute inattention : « Pose ton stylo, après tu me diras que tu ne comprends pas... ». L'enjeu, plus qu'une question d'ordre en classe, est relatif à l'intelligibilité du savoir en jeu. Mais cette transition entre l'écrit et l'oral, l'individuel et le collectif est toujours difficile à opérer pour Maxime avec cette classe : « Le moment de prise de parole collective est un moment dur à gérer pour moi mais aussi pour eux... Ils sont dans une sorte de compétition de celui qui va donner la bonne réponse... J'essaye de donner le nom de la personne qui va être interrogée avant de poser la question, sinon on est parasités par des élèves qui donnent la réponse sans lever la main, et ensuite je préserve celui que j'ai sollicité en disant aux autres de se taire... Je m'appuie beaucoup sur le respect de la prise de parole...».
A cet instant, l'exigence de Maxime porte sur la qualité d'écoute des élèves. Il n'hésite pas, entre deux interventions sur les mathématiques, à intervenir sur les attitudes encore relâchées : « S'il te plaît, tiens toi comme il faut ! ». Il pointe au tableau la méthode employée avec ses élèves depuis le début de l'année scolaire : « Ça, c'est ce que l'on a appris en début d'année, ça reste bon ! Heureusement qu'on n'apprend pas des conneries ! Sinon... ». Il insiste ensuite sur l'utilisation possible d'une autre méthode : « Vous aviez le choix dans la méthode... ». En effectuant des pas à reculons jusqu'au dernier rang pour adopter le point de vue des élèves et montrer le tableau avec la main, il les sollicite de nouveau : « (3x + 5)2 : ça ressemble à quelle identité remarquable ? ». Sa position à l'arrière de la classe montre ostensiblement sa volonté d'impliquer tous les élèves dans la recherche de la solution. Il revient ensuite compléter l'écriture des deux méthodes en passant plusieurs fois d'un côté à l'autre des deux volets du tableau pour montrer le choix offert aux élèves et plus largement le chemin parcouru dans l'apprentissage. Finalement, l'enseignant insiste sur la difficulté de sa démonstration : « Bon je ne vous le cache pas, c'est chaud ça... », avant de demander aux élèves de poursuivre la réalisation des exercices suivants nécessitant cette fois d'employer les deux méthodes tout juste exposées.
Si les préoccupations de Maxime relatives à l'ordre en classe et la transmission des savoirs sont imbriquées dans les mêmes actions, sa focale dominante est clairement orientée par sa démonstration en mathématiques. Toute son énergie y est consacrée et les élèves suivent ses explicitations avec une attention soutenue. Très peu de comportements parasites sont observés. L'activité de Maxime se caractérise par :
a) une exigence dans sa discipline d'enseignement non rabattue, constituant une sorte de défi, de challenge pour tous les élèves,
b) une justification de la nature des savoirs en insistant sur la transparence de son projet : « Je ne vous le cache pas... »,
c) une mise en valeur de la « plasticité » des savoirs enseignés, c'est-à dire de leurs différents chemins d'accès pour que les élèves comprennent « qu'il n'y a pas qu'une façon de faire... » et que « l'on peut développer ou réduire une formule mathématique »,
d) une utilisation de l'espace pédagogique pour distinguer clairement les deux méthodes possibles du raisonnement : distribution spatiale au tableau et adoption de l'espace arrière de la classe pour prendre le point de vue des élèves et e) une inscription temporelle des savoirs pour repositionner ce qui a été appris précédemment (début d'année scolaire et cours précédents), et donner les moyens aux élèves de retrouver un raisonnement oublié le jour du brevet du collège (fin d'année scolaire).
Finalement, après six mois d'enseignement, en dépit des faux pas et des périodes de doute, une forme de respect s'est instaurée entre Maxime et ses élèves de troisième : « Il me semble plus efficace quand je suis énervé de m'avancer proche d'un élève et de lui dire très doucement, très calmement : « Là, tu m'énerves... », plutôt que de gueuler et d'être hystérique... Je pense que peu à peu s'instaure une forme de respect, parce que quand je suis vraiment fatigué, ils me respectent vraiment... Je leur dis : « C'est bon, je suis fatigué... Vous restez paisibles... ». Ils pourraient en profiter pour me déborder, mais c'est pas du tout le cas... ».
1. Appel effectué plus tard lorsque tous les élèves ont été occupés individuellement.
Extraits du texte d'appui pour la formation des formateurs des journées « Tenue de classe » destinées aux néo-titulaires du second degré de l'Académie de Créteil (Septembre 2009).
Luc Ria, Professeur des universités en sciences de l'éducation Laboratoire PAEDI (EA), IUFM d'Auvergne, Université Blaise Pascal, Clermont II Responsable du programme scientifique « Professionnalité enseignante » (INRP, Lyon)
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