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[Marion] : le maintien d'exigences scolaires dans une relation avec les élèves sous haute tension

A la même période, Marion finit avec cette classe le chapitre sur la seconde guerre mondiale du programme de troisième.

 Professeure principale de cette classe, elle signifie aux élèves son mécontentement en début de cours : manque de travail, devoirs à la maison non rendus, plaintes récurrentes des collègues, etc. Elle insiste sur la nécessité pour eux de se remettre très rapidement au travail pour ne pas compromettre leur chance d'obtenir en fin d'année le brevet des collèges. Les élèves se plaignent à leur tour de ses exigences et le cours commence dans une ambiance tendue. L'enseignante décide d'utiliser un rétroprojecteur pour que les élèves recopient la trace écrite de la fin de chapitre avant le contrôle prévu au cours suivant.


La qualité de projection est insuffisante et l'enseignante dans l'obligation de dicter aux élèves le texte dans l'obscurité. Finalement, elle leur demande de rallumer la lumière pour copier la trace écrite au tableau. S'en suivent une volée de protestations de la part d'élèves n'appréciant pas ce changement de média en plein recopiage et une réaction virulente de l'enseignante : « Vous vous calmez là ? Vous avez vu comme vous êtes agressifs ? Est-ce que vous pensez que je vais vous laisser avec un cours qui n'est pas complet ? Moussa, est-ce que c'est la peine de s'énerver ? Oh ! J'aimerais bien avoir le calme là... Oh ! Je parle dans le vide là ? Je parle dans le vide là ? J'aimerais bien pouvoir terminer ce petit bout de cours sans avoir... Oh ! Samy, je parle dans le vide là ? Je parle dans le vide là ? Tu ne vois pas que je suis en train de parler ? Tu ne penses pas que ça peut s'adresser à toi ? [Samy : « si... »]. Donc, je vais mettre la deuxième partie du cours au tableau parce que le rétro ne projette pas correctement... ».


Cet épisode de quelques minutes montre la relation extrêmement tendue persistant entre l'enseignante et ses élèves. Alors que le recopiage d'une trace écrite pouvait constituer une séquence plutôt calme et maitrisée, la mauvaise visibilité du média a provoqué une rébellion inattendue. Comme si les élèves, sermonnés en début de cours pour leur manque de travail et de sérieux, s'indignaient d'être interrompus dans leur effort de recopiage et rappelaient, à l'occasion de l'erreur de l'enseignante, la nécessité d'être elle aussi exigeante quant à ses modalités d'intervention. Leur dépendance vis-à-vis de l'écrit, unique artefact « fiable » à leurs yeux pour la révision du prochain contrôle, semblait accrue par le rappel des enjeux relatifs à leur avenir scolaire, et donc à l'origine de leur rébellion. Se pose alors la question des méthodes que pourraient avoir des élèves de troisième pour une composition plus autonome de leur trace écrite en vue de préparer un contrôle de fin de chapitre.


Au-delà des péripéties liées à l'usage du rétroprojecteur, cet épisode condense les tensions pouvant apparaître entre des enseignants débutants (mais pas seulement) et des élèves peu scolaires, se renvoyant mutuellement la responsabilité des origines du conflit. Marion reconnaît être à cran avec cette classe : « Au début de l'année, on s'entendait bien avec du travail de leur part, mais depuis la reprise des vacances de Noël, l'ambiance est tendue, les élèves fuient leurs responsabilités, et moi, ça me met sous pression... L'ambiance est mauvaise... ». Marion tente de maintenir un niveau d'exigence avec cette classe de troisième mais au prix d'une relation avec les élèves électrique et usante : « Les heures avec cette classe comptent triple, j'en sors épuisée et pour quels résultats ? ». L'enseignante est sur le qui vive, souvent agressive, parfois provocante de manière excessive dans ses interventions.


L'exigence scientifique de Marion se trouve desservie par l'usage d'un niveau de langage et d'une vitesse d'élocution proches des modalités de communication orale de la cité (1). Elle réagit aux prises de parole intempestives des élèves de manière frontale, rendant coup pour coup comme sur un ring de boxe, sans discerner :

a) les répliques ou attitudes mineures qu'elle pourrait ignorer (pour se préserver et préserver dans le même temps une ambiance de travail plus sereine),

b) les comportements inacceptables nécessitant son intervention et

c) les demandes d'élèves relatives aux contenus du cours qu'elle pourrait exploiter à des fins didactiques, et non seulement réprimer d'un point de vue disciplinaire.

Ce changement de cible pourrait progressivement permettre de prendre davantage en compte les questions des élèves pour qu'ils se sentent plus impliqués dans les contenus d'enseignement proposés, et donc davantage partie prenante du déroulement du cours. Car plusieurs sollicitations de leur part concernaient directement le chapitre d'histoire étudié.

 

(1) Les jeunes enseignants, exerçant en établissements classés en éducation prioritaire, emploient fréquemment en classe du vocabulaire du langage de la cité ou des expressions de sens commun. Ils estiment que les expressions vernaculaires ont plus d'impact auprès des adolescents qu'un vocabulaire soutenu ou distancié. Ce que les enseignants plus expérimentés récusent en général ou emploient avec plus de discernement pour montrer la différence d'usage des deux registres selon les interlocuteurs et les circonstances.

 


Extraits du texte d'appui pour la formation des formateurs des journées « Tenue de classe » destinées aux néo-titulaires du second degré de l'Académie de Créteil (Septembre 2009).

Luc Ria, Professeur des universités en sciences de l'éducation Laboratoire PAEDI (EA), IUFM d'Auvergne, Université Blaise Pascal, Clermont II Responsable du programme scientifique « Professionnalité enseignante » (INRP, Lyon)

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