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[Sophie] : la construction d'un pacte de non agression réciproque entrainant une réduction des exigences scolaires

Comme ses deux collègues, Sophie a 18 mois d'expérience dans cet établissement Ambition Réussite.

Après une première année qu'elle estime avoir été difficile, caractérisée par de nombreux affrontements avec les élèves et une énergie en classe dépensée sans compter, elle a décidé de changer de stratégie avec cette classe de troisième en particulier : « J'essaye de ne pas rentrer en conflit avec eux. Le dialogue est nécessaire pour ne pas les braquer... ». Lors de l'accueil en classe, des règles de vie de groupe sont respectées (chewing-gum dans la poubelle, respect d'un plan de classe, attente du début de cours en position debout, etc.), l'ambiance de classe y est relativement sereine, mais le scénario de début de cours incertain. Sophie reconnaît, dans l'entretien suivant l'enregistrement de son activité en classe, son incapacité à provoquer de son propre chef la mise au travail de ces élèves de troisième : « Je sais qu'ils vont se mettre à travailler... J'attends sans savoir combien de temps cela va durer ... ».


L'enseignante a proposé en début de cours des exercices de grammaire consistant à mettre des propositions affirmatives à la forme interrogative et inversement. A la suite du travail individuel des élèves à l'écrit, elle s'emploie à effectuer une correction publique en sollicitant leurs réponses. Ceux-ci peu attentifs produisent un bruit de fond persistant. Sophie intervient à de très nombreuses reprises pour reprendre en main la classe : « Samy, on est en cours de français, d'accord ? Tu te tais maintenant... J'attends le silence, j'ai pas eu le temps de poser la question... Tu te tournes complètement... Cela te dérangerait de suivre le cours un petit peu ? ». Samy est pris d'un fou rire, l'enseignante le fixe d'un regard noir durant plus d'une trentaine de secondes. L'élève à peine calmé, elle est de nouveau interrompue par un autre foyer d'agitation avant même d'avoir énoncé dans sa totalité la proposition suivante : « Hep ! Vous deux, vous vous croyez où ? Tourne-toi, tais-toi s'il te plaît... ». Le cours se déroule ainsi entre bavardages, ricanements, bruits intempestifs et déplacements non autorisés. Le rythme de la correction est excessivement lent et celle-ci suivie seulement par quelques élèves.


L'enseignante tente de contenir l'agitation de ses élèves en signifiant ostensiblement son mécontentement, en haussant le ton, en fixant les élèves perturbateurs pendant de longues périodes, en rappelant régulièrement les comportements attendus de sa part en cours de français, en faisant sortir un élève du cours (avec un effet inverse à celui attendu). Toutes ses interventions étaient sans effet durable, comme si les élèves n'accordaient pas d'importance aux invectives parfois cinglantes de l'enseignante, comme s'ils n'acceptaient pas de jouer le jeu scolaire tout en restant cependant dans un registre « borderline » d'activités clandestines à la limite du tolérable. L'enseignante de plus en plus résignée au fil des minutes de cours, a reconnu lors de l'entretien sa difficulté à enseigner dans cette classe : « Avec cette classe, un cours de 55 minutes se réduit à 20 minutes... C'est pas évident... Avec une autre classe de troisième, j'ai trois semaines d'avance sur cette classe... Quand tu es près d'un groupe d'élèves, ils se taisent à peu près et dès que tu vas ailleurs, ça reprend... C'est infini en fait... Comme des foyers toujours allumés... Aujourd'hui ça allait, je ne suis pas trop fatiguée parce que les élèves n'étaient pas très agressifs... Et puis moi j'ai décidé de prendre du recul... J'ai discuté avec eux, je leur ai dit : « Ok, vous ne voulez pas que je crie, je ne crie plus, mais faites des efforts... ». Là, aujourd'hui, c'est eux qui ne jouent pas le jeu, mais bon... Ça va peut être venir... ».


Ce bref extrait n'est pas typique de l'activité ordinaire de cette enseignante de français, mais de son (dés)-engagement avec cette classe en particulier. Il illustre plus largement la difficulté générique d'une grande majorité de débutants, quelle que soit la discipline d'enseignement, peinant à trouver des solutions adéquates face à ces publics non scolaires. Ce qui conduit une partie d'entre eux à renoncer peu ou prou aux exigences scolaires, ou tout au moins à se protéger, à prendre du recul en externalisant les origines de leurs difficultés : « De toute façon, dans la salle des profs, on en parle souvent : avec cette classe, personne n'y arrive ! ». Les questions disciplinaires face aux incivilités – mineures pour la plupart – prennent alors le pas sur les enjeux scolaires. Mais la quête de l'ordre en classe est sans cesse remise en cause par des élèves non suffisamment mobilisés d'un point de vue cognitif. Sophie en fin d'heure de cours en fait le constat devant les élèves, mais sans pour autant remettre fondamentalement en question la pertinence de ses propositions didactiques que l'on peut estimer non suffisantes et peu motivantes pour des élèves de troisième : « On a passé des heures sur cet exercice et visiblement vous n'y voyez pas l'intérêt... ». A moins de parvenir à les convaincre de l'intérêt porté à cet exercice ou d'en modifier le contenu ?

 

Extraits du texte d'appui pour la formation des formateurs des journées « Tenue de classe » destinées aux néo-titulaires du second degré de l'Académie de Créteil (Septembre 2009).

Luc Ria, Professeur des universités en sciences de l'éducation Laboratoire PAEDI (EA), IUFM d'Auvergne, Université Blaise Pascal, Clermont II Responsable du programme scientifique « Professionnalité enseignante » (INRP, Lyon)

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