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La co-intervention devant élèves

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Le plan de relance de l’éducation prioritaire de 2006 a favorisé l’émergence de multiples formes de travail en équipe, dont la co-intervention en classe sur des projets disciplinaires ou transdisciplinaires.

Luc Ria et Marie Estelle Rouve, IUFM d'Auvergne, laboratoire Paedi 1

 L'étude des pratiques réelles de co-intervention

Les chefs d'établissements en réseau " ambition réussite " voient dans la co-intervention un moyen de lutte contre l'échec scolaire, certains souhaitant même la généraliser
à l'ensemble des sixièmes. Pourtant elle ne fait pas l'unanimité, surtout si sa mise en place s'effectue sans véritables préparations et réflexions. Le risque, lors d'un projet  interdisciplinaire, est de faire le deuil des exigences disciplinaires de chacun des ensei-gnements, comme si des " frontières de verre "2 délimitaient les interactions entre collègues sans qu'aucun réel enjeu cognitif pour les élèves ne puisse se développer. D'autre part, si la présence d'un second adulte dans la classe offre objectivement la possibilité d'augmenter les interactions individuelles auprès des élèves, n'y a-t-il pas un risque de renforcer une " pédagogie de la lenteur " chez ces derniers encore plus assistés et donc moins autonomes dans leurs apprentissages ?

L'émergence du travail collectif en réseau " ambition réussite " nécessite d'observer des pratiques réelles de co-intervention pour comprendre leur " valeur ajoutée ". Cette investigation est d'autant plus importante que les textes officiels ne donnent pas d'orientations précises pour baliser le contour de ces modalités d'intervention. C'est dans cette perspective que notre équipe de recherche a filmé plusieurs co-interventions entre professeurs du second degré dans différentes disciplines scolaires dans un collège d'un réseau " ambition réussite " de l'académie de Créteil (93). L'étude des interactions collectives en classe et du contenu de leurs entretiens d'autoconfrontation permet de préciser quelques-unes des conditions favorables au déroulement des co-interventions et de montrer leur rôle potentiel dans le processus de co-formation des enseignants en situation professionnelle.

La co-intervention ne se décrète pas

Les confrontations entre jeunes collègues posent parfois problème, comme l'atteste une enseignante de français : " les rapports entre adultes sont parfois plus difficiles que ceux avec les élèves. L'équipe est jeune, chacun veut prouver qu'il travaille, qu'il est un bon professeur. Nous observons parfois des comportements d'adolescence professionnelle ...". La construction de premiers repères en classe, la quête d'une légitimité professionnelle sont nécessaires pour cette néo-titulaire en français volontiers prêteuse de classe : " je ne suis pas particulièrement en crise quand quelqu'un intervient dans ma classe, mais en début d'année c'est trop tôt ... ". Dans les séquences au sein desquelles interviennent des professeurs référents et des néo-titulaires, il s'agit pour les premiers de trouver des modalités d'intervention en classe ne mettant pas les seconds en défaut : " il faut réussir à rentrer dans les classes sans que les collègues se sentent jugés ". Un second professeur référent a dû attendre avant de commencer toute collaboration : "je devais entamer une co-animation avec une collègue de français qui se disait un peu dépassée par la classe. La collègue a repoussé un peu mon arrivée : ce n'était pas le moment, j'ai attendu son aval ". Un climat de confiance, une parité minimale des actions sont les conditions préalables pour intervenir collectivement devant les élèves. Cependant, l'efficacité d'une co-intervention dépend de la capacité des enseignants à se fondre dans un projet commun sans pour autant renoncer aux ressources et spécificités de chacun nécessaires pour une véritable complémentarité.

Un exemple de co-intervention

Une séquence de co-intervention a été observée en mathématiques avec un professeur référent et un n‑éo-titulaire pour une classe de 3e très hétérogène. Elle illustre comment l'aide aux élèves en difficulté peut être coordonnée à l'accompagnement des néo-titulaires. Cette séquence était définie en amont par le cadre didactique de l'équipe disciplinaire de l'établissement. Les deux enseignants connaissaient les objectifs à atteindre ainsi que les élèves de la classe. Dès l'entrée en classe s'opérait une répartition précise des rôles de chacun : le néo-titulaire, responsable de la classe, l'accueillait de manière conviviale et efficace, le référent rentrait en quittant sa veste " comme un élève ". Le premier donnait les consignes générales tandis que le second favorisait l'enrôlement des élèves les plus difficiles en s'asseyant quelques instants auprès d'eux. Il intervenait ensuite sans interférence avec l'activité de son jeune collègue en procédant à des étayages individualisés : a) compléments linguistiques pour les élèves primo-arrivants, b) apport en quelques secondes des connaissances minimales pour effectuer un exercice et c) apport des façons de faire pour réussir un exercice.

Cette co-intervention était " huilée " depuis plusieurs mois. Les deux enseignants, impliqués dans des registres non concurrentiels, communiquaient peu en classe et se regardaient à peine : " on ne se calcule plus ". Le climat de classe était particulièrement bon ; les élèves au travail durant tout le cours. Cette collaboration asymétrique était réversible : dans les classes du professeur référent, c'était au tour du néo-titulaire de s'insérer dans la forme scolaire définie pour réguler individuellement le travail des élèves. Notons que cette co-intervention était ici subordonnée à la relative liberté du professeur référent déchargé de moitié de ses heures d'enseignement mais aussi à la perception par le néo-titulaire d'une opportunité de poursuivre sa formation.

Un espace privilégié de co-formation en établissement ?

Si les bénéfices d'une double présence en classe pour le travail des élèves peuvent être discutables selon la nature des tâches scolaires proposées ou selon les différentes étapes du projet collectif, ceux pour les enseignants eux-mêmes le sont bien moins. Les débutants ont la possibilité de réinterroger leur propre activité, de mieux cerner les ressemblances et dissemblances entres différents registres d'intervention, comme l'atteste une néo-titulaire en français : " ça m'a appris qu'il était possible de faire autrement, possible d'être plus directive parfois, ce que j'ai essayé dans d'autres classes ensuite ... En fait, elle intervient autrement, elle a un autre style, parfois les élèves me regardaient pour voir ma réaction ". Les plus chevronnés sont eux aussi souvent convaincus du caractère formateur de cette activité collective : " Pour le moment, les co-animations apportent plus à ma propre pratique qu'aux professeurs avec qui je collabore, du moins me semble-t-il ...".

Ces espaces de travail collectif peuvent favoriser l'ouverture de l'horizon professionnel et l'acculturation des règles du métier. Encore faut-il clarifier et ordonner les différentes modalités possibles d'intervention en classe (co-présence, co-animation, co-intervention), en relation avec d'autres activités hiérarchisées temporellement (co-préparation, co-observation, co-analyse), pour qu'une véritable formation au sein d'un établissement puisse se développer au gré des situations professionnelles. Ce qui requiert  de définir les modalités d'ajustement entre professionnels pour dépasser les seules  co-(n)nivences spontanées mais aussi d'expliciter les modalités d'intervention collectives efficaces, trop souvent tacites, pour qu'elles puissent devenir des ressources pour le plus grand nombre d'enseignants au sein d'un même établissement.

 

 

Extrait de "XYZep", bulletin du Centre Alain-Savary, n° 32.

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