Des contextes spécifiques qui influent sur le métier
Prendre au sérieux le travail enseignant conduit aussi à tenir compte des contextes dans lesquels émergent peut-être des aspects nouveaux des métiers de l’enseignement.
Patrick Rayou, université Paris 8, laboratoire ESSI-ESCOL
La " forme scolaire "
Le premier contexte est celui d'une " forme scolaire " qui a beaucoup évolué. L'école de la République a été historiquement instituée comme une sorte de " monde à part " préservé, isolé du monde social afin de permettre aux enfants d'échapper aux influences locales qui les empêchaient de se construire comme citoyens et d'accéder à des positions sociales qu'ils ne devraient qu'à leur mérite. Certains chercheurs parlent aujourd'hui de " porosité de la forme scolaire " pour dire qu'en raison même de son succès, l'école s'est ouverte à des logiques qui n'étaient pas les siennes. Ainsi, il ne suffit plus aujourd'hui d'avoir statut d'enseignant pour enseigner ; il est plus long et plus difficile de transformer les enfants en élèves, plus complexe de les installer dans des situations d'apprentissages, etc. Ces transformations de la forme scolaire sont profondes et particulièrement présentes dans l'éducation prioritaire.
Les politiques d'établissement
Précisément, la création des zones d'éducation prioritaires puis celle des réseaux " ambition réussite " font aussi partie de ces contextes qui évoluent. Mais il y a toujours des décalages entre la lettre des préconisations et la réalité des pratiques, et l'instauration de nouveaux dispositifs est toujours réinterprétée localement. Il y a des histoires locales, des habitudes, des cultures d'établissement qui font que les nouveaux dispositifs sont intégrés à d'anciennes manières d'organiser et de réaliser le travail. La rapidité de mise en place du dispositif a pu ainsi faire que, s'estimant trop peu associés, des chefs d'établissement ont eu tendance à se saisir des moyens nouveaux pour les utiliser dans la politique qu'ils conduisaient déjà. Il serait d'ailleurs intéressant de faire une typologie de ces réinterprétations notamment dans la manière de faire travailler les personnels supplémentaires que sont les professeurs référents et les assistants pédagogiques. Il paraît impossible de faire l'impasse sur cette mobilisation réelle des moyens octroyés.
Les identités professionnelles des acteurs
Il semble également impossible de comprendre ce qui se passe dans ces réseaux sans s'interroger sur cet autre élément de contextualisation que sont les identités professionnelles des différents acteurs. Celles-ci sont en effet, à certains égards, fortement mises à l'épreuve par le nouveau dispositif. Les collègues désignés comme professeurs supplémentaires ou référents (ce terme a été contesté dans plusieurs établissements) ont ainsi des missions de formation des néo-titulaires et d'intervention transversale auprès des élèves qui heurtent une tradition de parité entre enseignants censés faire un travail équivalent ainsi que, pour le second degré, de spécialisation disciplinaire. Dans de nombreux cas, ils doivent donner à leurs collègues des gages de leur loyauté au collectif d'enseignants, ils peuvent aussi éprouver des difficultés à développer des expertises sur des élèves qui ne sont pas les leurs ou dans des matières qu'ils ne maîtrisent pas comme la leur.
Un effet de loupe ?
Ces interférences entre plusieurs contextes nous conduisent à nous interroger, par-delà ce qui est spécifique aux réseaux " ambition réussite ", sur des évolutions de la profession enseignante qui sont peut-être préfigurées ici (comme rendre compte de ses activités à un plus grand nombre de partenaires, travailler de façon plus collective, développer une expertise locale, produire des savoirs d'action, connaître une mobilité de carrière, etc.). Ce qui paraît très singulier dans l'éducation prioritaire peut n'être que l'aspect plus visible de phénomènes qui travaillent en réalité l'ensemble du système éducatif. Nous travaillons donc sur ces contextes particuliers avec l'idée qu'ils constituent aussi une loupe pour mieux voir si des évolutions professionnelles sont ou non en émergence. Est-ce le cas ? Les réponses ne sont pas écrites !
Extrait de "XYZep", bulletin du Centre Alain-Savary, n° 32.
